Avec l'accident de la centrale de Tchernobyl, les défaillances du système nucléaire civil de l'Union soviétique sont apparues en plein jour. Mais comment étaient gérés les complexes du système militaire? Quelles étaient notamment leurs pratiques de gestion des déchets radioactifs? La fin de la guerre froide a permis de lever le secret qui entourait les trois principaux sites de production d'armes, tous situés en Sibérie. Cinquante ans de rejets directs dans le sous-sol et les cours d'eau ont abouti à cet état de fait : la radioactivité actuellement présente dans l'environnement y est mille fois supérieure à celle qui, à Tchernobyl, résulte de l'accident de mai 1986!
Guerre froide oblige, de vastes complexes d'armements nucléaires ont vu le jour aux Etats-Unis et en Union Soviétique. Pendant près de cinquante ans, de grandes quantités de déchets radioactifs y ont été produites. Si une partie de ces déchets a été entreposée dans des conditions d'une relative sûreté, des quantités significatives ont été relâchées dans l'environnement, lors d'événements accidentels aussi bien qu'au cours de rejets planifiés. Dans l'ex-Union soviétique comme aux Etats-Unis, c'est le retraitement du combustible nucléaire issu des réacteurs militaires qui a été la cause majeure de la contamination de l'environnement. Retraiter le combustible usé c'est mettre en oeuvre une série d'opérations mécaniques et chimiques pour séparer l'uranium et le plutonium des autres produits. Ces derniers incluent en particulier les déchets à haute radioactivité que constituent la plupart des produits de fission.
Depuis l'effondrement de l'Union soviétique en décembre 1991, la Russie n'a pas totalement mis fin à ses procédures de retraitement. Elle conserve ainsi en opération trois réacteurs dits " duaux " parce qu'ils produisent à la fois de l'électricité et des matériaux destinés à la production d'armes. De plus, une partie des déchets issus des opérations de retraitement est toujours rejetée dans l'environnement. En revanche, aux Etats-Unis aucun réacteur de production ni aucune usine de retraitement n'a fonctionné depuis 1988.
Dans l'ex-Union soviétique comme aux Etats-Unis, les zones les plus contaminées se trouvent à l'intérieur des installations de retraitement ou dans leur voisinage immédiat. Pratiquement toutes les composantes du complexe nucléaire militaire de l'ex-Union soviétique sont situées en Russie, plus précisément en Sibérie : à Mayak (près de Tcheliabinsk), Tomsk-7 et Krasnoyarsk-26 (fig. 1). Pour mémoire, les principaux sites américains sont à Hanford dans l'Etat de Washington, à Savannah River en Géorgie et à Oak Ridge, dans le Tennessee.
La quantité totale de déchets rejetés par les deux pays correspond à une radioactivité actuelle d'environ 1,7 milliard de curies*, soit moins de 0,4 pour-cent de la radioactivité naturelle présente dans les océans de la planète, où elle provient principalement du potassium 40(l). Cependant, il est évident que ces déchets, concentrés sur de petites surfaces, sont susceptibles d'avoir un impact substantiel sur l'environnement et la santé humaine.
Si les déchets américains et soviétiques sont très semblables dans leur composition, les quantités en jeu sont peu comparables : sur les 1, 7 milliard de curies attribués aux deux pays, seulement 3 millions sont présents sur le territoire américain. En Russie, les rejets ont été principalement effectués par injection en profondeur dans le sous-sol (environ 1,5 milliard de curies), tandis qu'environ 120 millions de curies sont dus aux rejets dans des lacs et des bassins sur chacun des sites de Tomsk-7 et Myak.
L'expérience scientifique accumulée au cours des cinquante dernières années devrait permettre de trouver des solutions pour réhabiliter l'environnement et gérer ces déchets. Le Département de l'énergie des Etats-Unis (DOE) et le ministère de l'Energie atomique de la Fédération Russe (Minatom) ont commencé à partager ces ressources depuis six ans. Nul doute que ce partenariat est destiné à se poursuivre sur une longue période.
A Mayak, environ 500 000 personnes ont reçu des doses " élevées " de radiation et 18 000 ont dû être déplacées
Un événement a poussé la communauté internationale à prendre conscience de la contamination radioactive dans ce qui était encore l'Union soviétique: c'est l'accident de la centrale ukrainienne de Tchernobyl, en 1986.
Chacun sait qu'il a causé une contamination significative de l'environnement et engendré des effets néfastes sur la santé humaine. On sait moins que la quantité de radioactivité qui, à l'heure actuelle, se trouve dans l'environnement à cause de cet accident est en fait beaucoup plus faible que celle rejetée par les complexes nucléaires sibériens. Elle est même inférieure de trois ordres de grandeur, puisque l'estimation de la radioactivité actuelle due à Tchernobyl est " seulement " d'environ 1,6 million de curies(2)(I). On sait par ailleurs que d'autres activités ont conduit à relâcher des quantités considérables de radioactivité dans l'environnement de l'ex-Union soviétique : essais d'armes nucléaires; explosions nucléaires utilisées pour créer des cavités de stockage ou récupérer du pétrole et des minéraux; opérations navales; exploitations minières et usines de traitement de l'uranium... Mais, là aussi, les quantités en jeu sont très inférieures aux rejets des complexes militaires de Mayak, Tomsk-7 et Krasnoyarsk-26 : celles résultant de l'extraction du minerai d'uranium dans l'ex-Union soviétique avoisinent les 600 000 curies(3), tandis que les valeurs estimées (lorsque c'est possible) des rejets dans les océans au cours d'opérations navales russes se montent à environ 460 000 Curies(4).
Mayak : le complexe de Mayak est le premier réacteur de production nucléaire édifié en Union Soviétique. Situé à quelque 70 kilomètres au nord de Tcheliabinsk, il couvre une surface de l'ordre de 200 km2. Pendant quarante ans, divers événements ont eu des conséquences avérées sur les populations locales. Environ 500 000 personnes ont reçu une dose " élevée " de radiation et environ 18 000 ont dû être déplacées. Quels sont ces événements ?
La contamination de la rivière Techa, des lacs artificiels et de la région de Asanov Marsh, située en aval du réservoir n-11 (en bas à droite sur la figure 2), est due au rejet direct de déchets hautement radioactifs dans la rivière : ceux-ci se sont principalement déroulés entre 1949 et 1952. Au cours de cette période, 76 millions de mètres cubes de déchets liquides ont été relâchés, avec une radioactivité Béta totale de 2,75 millions de curies.
En 1951, l'Union soviétique a commencé à construire une cascade de lacs le long de la rivière Techa, dans un double but : d'une part éviter toute migration supplémentaire des déchets hautement radioactifs et, d'autre part, stocker les déchets de plus faible activité. Des canaux ont été construits pour contourner la rivière jusqu'à un point situé en dessous du dernier lac. Mais, aujourd'hui, l'eau ne reste pas confinée à l'intérieur des lacs, ce qui constitue une source indéniable de contamination pour la rivière Techa et pour les cours d'eau en aval, notamment le fleuve Ob.
Les décharges de déchets radioactifs dans le lac Karachai (au centre sur la figure 2), un petit lac naturel proche de la zone de retraitement de Mayak, ont commencé en 1951, alors que s'achevaient les rejets importants dans la rivière Techa. Les experts s'accordent pour estimer que le lac Karachai contient à présent 120 millions de curies, une activité principalement due au césium 137 et au strontium 90. En 1967, un accident a été enregistré: les vents ont transporté jusqu'à 75 kilomètres du site environ 600 curies de particules radioactives, associées à la poussière des rives desséchées du lac(5).
Le souci majeur associé à ce lac est représenté par le strontium 90, dont on sait qu'il migre dans les eaux souterraines. Bien que l'inventaire du lac en césium 137 soit supérieur à celui du strontium, le césium semble être piégé au sein des argiles résidant au fond du lac. Des matériaux organiques, notamment des solvants, ont été également rejetés dans le lac Karachai, ce qui complique le problème du contrôle de la migration du corps contaminant. Mayak se livre encore aujourd'hui à des rejets de déchets liquides faiblement radioactifs produits lors des processus de séparation chimique. Ces rejets servent accessoirement à maintenir le niveau d'eau du lac et, ainsi, à éviter de nouvelles contaminations dues à la dispersion de poussières par le vent.
Entre 1951 et 1989, 5 millions de mètres cubes de solutions contaminées ont pénétré les couches géologiques situées sous le lac. Le " panache " d'eau souterraine contaminée a une concentration en strontium 90 de 0,1 nanocurie par litre : le front qui se déplace vers le sud a avancé de 2,5 km en 40 ans et s'approche de la rivière Mishelyak. En raison de sa densité, cette eau se trouve principalement dans la partie la plus basse de la zone de fracture de la roche sous-jacente, à une profondeur entre 70 et 100 mètres, et se situe en dessous de la zone de rejets de l'eau souterraine dans la rivière Mishelyak(6). Les contours en rouge sur la figure 2 dessinent l'état des nappes de contamination issues du lac Karachai(7).
Depuis 1967, le gouvernement national fait lentement combler ce lac. Des milliers de blocs de béton creux de 1 m de côté sont immergés pour piéger les dépôts boueux du fond du lac et les empêcher de s'accumuler sur les rives au fur et à mesure que celui-ci est comblé. Après la mise en place de ces blocs, des tonnes de terre et de rochers sont accumulées pour les recouvrir. Au mois d'octobre 1991, le lac avait ainsi été réduit à une surface de 0,2 km2, à comparer à sa taille initiale de 0,45 km2. L'activité est cependant loin d'avoir disparu: au cours d'une visite récente au lac Karachai, des taux de 300-600 milliroentgen* par heure ont été relevés à une dizaine de mètres du bord du lac, à comparer à la valeur nominale de 0,015 milliroentgen par heure. Après les rejets directs dans la rivière Techa et le lac Karachai, le gouvernement soviétique a commencé à construire en 1953 des installations de stockage pour les déchets hautement radioactifs. Le 29 septembre 1957, un accident s'est produit dans un conteneur où étaient entreposées des solutions de produits de fission : on y trouvait du nitrate de sodium, avec des concentrations allant jusqu'à 100 grammes par litre, et de l'acétate de sodium concentré à 80 grammes par litre. La radioactivité de l'ensemble représentait environ 20 millions de curies. Le conteneur était refroidi à l'eau, mais, à la suite d'une fuite dans le système de refroidissement et compte tenu de l'insuffisance des outils de traitement des eaux contaminées, il avait été décidé de ne le refroidir que par périodes. Ceci a finalement conduit à une surchauffe des sels de nitrate et d'acétate et à l'explosion du conteneur, causant la dispersion, par des vents soufflant à 25 km/h, d'à peu près 2 millions de curies dans l'atmosphère; les autres 18 millions sont retombés à proximité immédiate du conteneur(8).
A Mayak, divers projets ont été entrepris pour résoudre ces graves problèmes de gestion des déchets. La vitrification, c'est-à-dire la transformation des déchets nucléaires hautement radioactifs en verre stable à base de phosphate, est l'une des réalisations majeures des scientifiques de Mayak. C'est en 1967, en coopération avec plusieurs instituts de recherche, qu'a été lancé un programme de recherche sur la vitrification. Entre 1969 et 1971, des installations prototypes pour le développement de fours par chauffage électrique direct ont été construites; entre 1973 et 1977, des usines pilotes utilisant des déchets simulés et des traceurs radionucléides ont été testés; enfin, en 1986-1987, le premier four en céramique, avec une capacité de 500 litres par heure, a été mis en service à Mayak(9).
A la suite de la fermeture de ce four pour des problèmes liés au fonctionnement de ses électrodes, un second four en céramique fut mis en service en juin 1991. A la date du 1er septembre 1995, 235 millions de curies de déchets, à peu près 25% de l'inventaire total des conteneurs de déchets de Mayak, avaient été vitrifiés, placés dans des canistères et entreposés sur le site dans une installation refroidie à l'air, en attendant un éventuel stockage géologique. Pour avoir un point de comparaison, cette quantité est équivalente à l'inventaire total des conteneurs de déchets hautement radioactifs actuellement stockés sur le site de Hanford, dans l'Etat de Washington. Les scientifiques russes étudient aujourd'hui divers procédés de stabilisation des déchets susceptibles d'offrir des durées de vie supérieures à la vitrification. Le site de Mayak est, parmi les trois sites russes de réacteurs de production et de retraitement, celui qui a, de loin, reçu la plus grande attention des médecins et épidémiologistes. L'information est disponible principalement sur les effets des rejets dans la rivière Techa et sur les conséquences de l'explosion du réservoir de 1957. Les études sur les effets des rejets dans le lac Karachai commencent à peine.
Les conséquences sur les populations à Mayak
Le nombre de leucémies a connu une augmentation significative dans la région de Mayak. Constatée entre 5 et 20 ans après le début de la contamination, cette augmentation est directement liée aux rejets de déchets radioactifs dans la rivière Techa qui ont eu lieu entre 1949 et 1951(14). Cent vingt-quatre mille personnes vivant près de la rivière Techa ont été exposées à des radiations élevées et 28 100 d'entre elles, habitant le long de la rivière, ont reçu les plus hautes doses(15). Environ 7 500 personnes évacuées de vingt villages ont reçu des doses efficaces moyennes variant entre 35 et 1 700 mSv*. Des doses de radiation particulièrement élevées ont été reçues par les habitants du village de Metlino, où la valeur moyenne de la dose efficace a été de 1 700 mSv et les doses équivalentes à la moelle osseuse se montèrent à 3 000-4 000 mSv pour certains individus.
Il semble que les doses moins importantes résultant des accidents de 1957 et 1967 n'aient pas provoqué de pathologies chroniques liées aux radiations(16): par comparaison, la dose moyenne reçue par les individus suivis dans l'étude sur la rivière Techa était de 0,4 Gy*, elle était de 0,02 Gy pour l'accident de 1957. Quant aux plus hautes doses individuelles, elles atteignaient jusqu'à 3 Gy pour l'étude de la rivière Techa et ne dépassaient pas 0,9 Gy pour l'accident de 1957.
En 1959, après avoir achevé l'évacuation des populations consécutive à l'explosion du réservoir de 1957, l'accès aux zones où la densité de contamination dépassait 2 Ci./km2 a été restreint. Un organisme de recherche scientifique, appelée ONIS, avait été établi un an plus tôt sur la rive sud du lac Kashakul, près du site de Mayak, pour étudier la contamination due au strontium 90. ONIS a déterminé des " coefficients " reliant la teneur des produits agricoles et les niveaux de contamination des sols. ONIS les a utilisés pour édicter des recommandations et déterminer quelles portions de terres pouvaient être cultivées. En conséquence, les terres dont le niveau ne dépassait pas 25 Ci/km2 de Sr9O ont été cultivées à partir de 1961. En 1982, 590 km2 de terres dans la région de Chelyabinsk ont été rendues disponibles à l'agriculture.
Dans les forêts, les scientifiques ont observé les dégâts causés sur les pins et les bouleaux: les premiers étaient sujets à des dommages identifiables pour des niveaux de 10 Ci/km2 de Sr9O et dépérissaient complètement lorsqu'ils étaient situés dans une zone à 300 Ci/km2. Les bouleaux avaient un comportement similaire pour des niveaux de radioactivité dix fois plus élevés, Les autorités locales ont interdit la chasse dans les " aires spéciales " où le niveau de contamination dépassait 4 Ci/km2. Quant au bois, il n'était autorisé à la coupe que dans les zones où la contamination ne dépassait pas 50 Ci/km2 de Sr9O.
Environ deux tiers des terres
contaminées dans la région de Tcheliabinsk ont pu
être, de nouveau cultivées à partir de 1989.
Aujourd'hui, l'activité résultant de l'explosion
du réservoir en 1957 est estimée à 44 000
curies, dont 99,3 % sont dus au Sr9O. Cette contamination n'est
pas considérée comme étant de nature critique
en comparaison des autres problèmes du site de Mayak. Elle
est retombée à des valeurs relativement petites
(pour Mayak...), les zones les plus contaminées sont d'accès
restreint ou sont clôturées, et seule une petite
proportion de la contamination est présente dans les ruisseaux
et les rivières.
D.J.B.
Tomsk-7. Deuxième site de production et de retraitement de l'Union soviétique, construit vers le milieu des années 1950, Tomsk-7 est situé près de la petite ville de Seversk et de la grande ville de Tomsk, en Sibérie. Un total de 8 millions de mètres cubes de déchets ont été déposés dans des lacs et des bassins à Tomsk7. Ces dépôts, avec ceux du lac Karachai à Mayak, sont considérés comme les sources de matière radioactive les plus importantes du monde dans des eaux superficielles. Les lacs et bassins contiennent 130 millions de curies de déchets radioactifs(10). De plus, le site de Tomsk-7 a rejeté dans la rivière Tom jusqu'à 42 000 m3 par jour d'eau de refroidissement contaminée, provenant des réacteurs de production de plutonium. Cependant, la forme principale de gestion des déchets à Tomsk-7 s'avère être l'injection dans des puits. Cette technique consiste à déposer les déchets radioactifs dans des formations souterraines profondes pour les isoler de l'environnement immédiat. Elle a été employée à Tomsk-7 depuis 1963. Les couches d'injection à Tomsk-7 se situent, d'après les rapports, à des profondeurs entre 240 et 340 mètres dans des couches sableuses du Crétacé(11). Avec des taux d'injection de déchets radioactifs allant jusqu'à 175 mètres cubes par heure, on s'est ainsi débarrassé d'un total d'environ 32 millions de mètres cubes de déchets jusqu'en 1992 à Tomsk-7. Selon les déclarations officielles de Minatom, les déchets radioactifs disposés en sous-sol représentent une radioactivité de 1 milliard de curies(12). Des études à Tomsk-7 et Krasnoyarsk-26 ont été initiées afin de prédire les compositions chimique et radiochimique de ces déchets, ainsi que les propriétés du milieu géologique dans lequel ils ont été placés.
Krasnoyarsk-26. La mise en service de Krasnoyarsk-26, situé à 40 km de la ville de Krasnoyarsk, a commencé vers la fin des années 1950. Renommée par la suite Zhelenogorsk, Krasnoyarsk-26 a été construite en sous-sol et représente, d'après les rapports officiels, un volume intérieur équivalent à trois fois et demie celui de la pyramide de Khéops. A l'instar des deux autres sites, la contamination de l'environnement à Krasnoyarsk-26 est la conséquence de dépôts dans des lacs et d'injection dans des puits souterrains profonds. Il y a quatre lacs à Krasnoyarsk-26, avec un contenu total maximum en radioactivité supérieur à 19 000 curies. Utilisés comme bassins de sédimentation, ils sont situés près de la rivière Yenisei. Pour minimiser les risques de débordement, un tuyau de drain siphonne l'eau en excès directement dans la rivière Yenisei.
La surface totale contaminée par les opérations d'extraction et de traitement de l'uranium est estimée à 600 km2
Depuis 1963, comme à Tomsk, les déchets radioactifs liquides ont également été injectés en sous-sol dans les couches d'argile et de sable aquifère situées sous Krasnoyarsk-26. Cette pratique se perpétue encore aujourd'hui. Les déchets radioactifs liquides sont transportés jusqu'à l'installation d'injection par une conduite de 15 km de long. L'installation est constituée d'un double système de puits: ceux pour l'injection des déchets et ceux pour le pompage de l'eau. Au fur et à mesure que les déchets radioactifs sont injectés, l'eau des couches souterraines est retirée, et un système de puits d'observation permet de surveiller le processus. Le site d'injection est situé à environ 750 m de la rivière Yenisei, sur une terrasse en surplomb d'une centaine de mètres.
Selon une étude récente, deux zones majeures et huit points de contamination radioactive ont été identifiés. D'après les scientifiques russes, l'activité actuelle des déchets injectés sur ce site est de 450 millions de curies, à partir d'une activité totale de 1 milliard de curies.
Les volumes de déchets radioactifs qui ont été injectés dans deux couches géologiques différentes sont de 2,5 millions de m3 de déchets faiblement radioactifs (à une profondeur de 190 à 225 m) et 2 millions de mètres cubes de déchets moyennement et hautement radioactifs (à une profondeur de 380 à 475 m). Selon des études russes, ces déchets verront leur radioactivité décroître jusqu'à un niveau non significatif avant d'avoir parcouru une distance importante dans le sous-sol à partir de leur site d'injection.
Une nouvelle installation pour l'injection souterraine de déchets radioactifs était prévue de l'autre côté de la rivière Yenisei : elle devait traiter une partie des déchets provenant d'une nouvelle usine de séparation chimique, appelée RT-2, développée pour retraiter le combustible du réacteur à eau pressurisée de type VVER-1000 conçu par les Russes. Un tunnel a été construit sous la rivière pour transporter les déchets liquides sur l'autre rive. Les déchets liquides devaient être injectés dans des formations d'argile souterraines sur ce site, connu sous le nom de Site-27, situé à 10 km de RT-2. Les travaux de construction de RT-2 et du Site-27 ont été arrêtés en 1989, principalement à cause de protestations publiques et d'organisations environnementales.
Mines. En plus du retraitement, une autre source de contamination de l'environnement par les complexes d'armement des deux pays provient des opérations d'extraction et de traitement de l'uranium. En termes de volume de déchets produits, laissés pour la majeure partie sans aucune protection, ces opérations ont eu un impact considérable sur l'environnement. En 1990, l'ex-Union soviétique avait accumulé approximativement 5 milliards de tonnes de déchets d'uranium. La surface totale contaminée par les opérations d'extraction et de traitement de l'uranium dans l'ex-Union soviétique est estimée à 600 km2 et l'activité totale est de 600 000 curies(13), la Russie seule disposant d'environ 180 000 curies pour un volume de 100 millions de mètres cubes. D'ici l'an 2000, il est prévu que la Russie recouvre ce type de déchets avec un couvercle d'argile épais de 1,5 mètre : une couche de terre superficielle est censée rendre la majeure partie de ces surfaces à l'" économie " nationale.
Pour mettre en commun leurs diverses expériences de gestion des déchets et de réhabilitation des sites, le DOE américain et le Minatom russe ont signé un accord de coopération. Les échanges de technologies et les projets communs sont en constante augmentation : ils portent sur des domaines tels que la séparation chimique, la modélisation du transport des corps contaminants, la caractérisation des sites, le traitement et la vitrification des mélanges de déchets et les conteneurs de déchets hautement radioactifs.
DON J. BRADLEY est chercheur au
Pacific Northwest National Laboratory, à Richland, Etat
de Washington.
CLYDE W. FRANCK, Environmental restoration and waste management,
Département de l'énergie des Etats-Unis, à
Washington DC.
YEVGUENY MIKERIN est directeur du département Science et
Technologie, ministère de l'Energie atomique de la Fédération
russe, Moscou.
Une version originale de cet article est parue en avril 1996 dans
la revue américaine Physics Today. Pour La Recherche, le
texte a été adapté et complété
par ses auteurs.
La Recherche n°304 décembre 1997
*LE CURIE (CI) est l'ancienne unité internationale d'activité officiellement remplacée par le becquerel (1 Bq 1 désintégration par seconde), elle est encore en usage chez les spécialistes. 1 Ci égale 3,7 10.10 Bq.
*LE RÖNTGEN, ancienne unité de mesure d'exposition de rayonnement, vaut 2,58 10-4 coulombs/kg.
*LE SIVERT (SV) est l'unité internationale de dose efficace et vaut 1 joule par kilogramme. Son calcul tient compte de facteurs de pondération liés aux types de rayonnements et aux tissus (moelle osseuse poumon, estomac, etc.).
*LE GRAY (GY) est l'unité internationale de dose absorbée, c'est-à-dire d'énergie cédée à la matière (aux tissus) par unité de masse. 1 Gy vaut 1 joule par kilogramme.
(1) M.W. Carter (ed.), " Radionucleides in the Food Chain ", Springer Verlag, New York, 1993,
(2) Physics Today, avril 1996.
(3) Ibid.
(4) D.J. Bradley et U.P. Jenquin, " Radioactive inventories and Sources of Contamination of the Kara Sea by Riverine Transport ", PNWD-2316, Richland, Washington, mai 1995.
(5) N.G. Botov in Proc. " Third lot. Conf . on High Level Radioactive Waste Management ", Am. Nucl. Soc, La Grange Park, III, and Am. Soc. of Civil Engineers, New York, 1992, p.233l.
(6) E.G. Drozhko et G.N. Romanov, in " Fourth Annual Scientific Conf ", Nuclear Society Int., Moscou, 1993, p. 78.
(7) V.N. Bol'shakov et al., " Conclusion of the Commission for Evaluating the Ecological Situation in the Sphere of Influence of the Industrial Plant Mayak of the USSR Ministry of Atomic Energy ", report of the special commission organized by the Presidium of the USSR Acad. of Sci., publication n- 1140-501 (l2 juin 1990), traduit en anglais par Pacifie Northwest National Laboratory, Richland, Wash.
(8) B.V. Nikilepov et E . G Drozhko, " Explosion in the South Ural Mountains ", Priroda, mai 1990, p. 48-49.
(9) E.G. Drozhko et al., " Basic Directions and Problems of Radioactive Waste Management Program in the Mayak Production Association, Cheliabinsk, Russia ", Int. Conf. on Nuclear Waste Management and Environmental remediation, Prague, septembre 1993, in Vol. Il des Proceedings, p. 17.
(10) Nuclear Safety and Cleanup Report 3 (5), 43, 1994.
(11) A. I. Rybal'chenko et al., " Underground Disposal of Liquid Radioactive Wastes ", Moscou Izdat., 1994; Traduction anglaise Sandia National Lab., 1996.
(12) Interfax, Moscou, 21 janvier 1994.
(13) Nuclear Safety and Cleanup Report, 1994.
(14) M.M. Kossenko et al., " Leukemia Risk Estimate on the Base of Nuclear Incidents in the Southern Ourals ", Japan/USSR Seminar on Radiation Effects Research, Tokyo, juin 1990.
(15) V.N. Chukanov et al., " Ecological Consequences of the Creation of Nuclear Weapons on the Example of the Atomic Industrial Complex near the City of Kyshtym ", Conference on Environmental Consequences of Nuclear Development, University of California, Irvine, avril 1991.
(16) A.V. Akleyev et E.R. Lyubchansky, " Environmental and Medical Effects of Nuclear Weapon Production in the Southern Urals ", The Science of The Total Environment, Special issu " Radiation Exposure in the Southern Urals ", mars 1994, Elsevier.
(17) D.J. Bradley, éd. par D. Payson, Behind the Nuclear Curtain Radioactive Waste Management in the Former Soviet Union, Battelle Press, Colombus, Ohio, 1997.
La Recherche a publié (I) " Dix ans après
Tchernobyl ", avril 1996.