Parce qu'elle s'est emballée pour l'atome "civil", la France voit croître dangereusement ses stocks de plutonium. Avec l'intrépidité du marin qui fuit Charybde pour aborder Scylla, elle a décidé d'en faire du MOX. C'est là s'enterrer, ou plutôt, s'emplutoniser davantage...
Alors que le monde entier lutte contre la dissémination du plutonium et la prolifération de l'arme atomique, que le risque de pénurie d'uranium disparaît de l'horizon, que le programme électro-nucléaire est en perte de vitesse, la COGEMA, filiale à 100 % du Commissariat à l'énergie atomique (1), annonce la commercialisation d'un "nouveau" combustible nucléaire qui remplace l'uranium 235 par du plutonium 239. Pourquoi ? Tout simplement parce que la puissante entreprise - plus de 9 000 personnes réparties dans le monde - réajuste sa stratégie commerciale parce que la coûteuse filière surgénératrice est renvoyée aux calendes grecques.
Il y a dix ans, nos spécialistes du nucléaire prévoyaient à moyen terme une pénurie d'uranium naturel. Or, celui-ci (2) constitue le matériau de base du combustible de nos centrales. Si à terme, le minerai venait à manquer, c'est tout le programme électro-nucléaire français qui se trouverait. en danger. A l'époque, le CEA mit donc en avant les avantages - théoriques - des centrales surgénératrices, dites encore à neutrons rapides. Ces dernières "'brûlent" du plutonium 239 au lieu de l'uranium 235, mais elles en produisent également dans la couverture d'uranium naturel qui entoure le coeur de ce type de réacteur. En développant les surgénérateurs, disait-on alors, nous pourrons produire en permanence le combustible fissile dont nous avons besoin et faire durer deux fois plus longtemps nos réserves d'uranium. Un inconvénient cependant : le plutonium n'existe pas dans la nature. Il est créé dans le, coeur des centrales nucléaires classiques lorsque l'isotope 238 de l'uranium "avale" un neutron. Les combustibles "brûlés" en regorgent donc. Pour l'en extraire, on doit retraiter les combustibles irradiés et non pas les stocker en l'état, des dizaines d'années durant, dans d'imposantes piscines, en attendant qu'ils perdent une bonne partie de leur radioactivité.
En 1974, la décision fut prise : la France retraiterait l'ensemble de ses combustibles irradiés et en récupérerait le plutonium destiné aux surgénérateurs qu'elle avait l'intention de construire. Tout cela était d'une logique implacable. Mais les temps changent et même dans le monde nucléaire, les vérités d'hier ne sont plus celles d'aujourd'hui. Toutes les prévisions de consommation d'énergie ont été révisées à la baisse ; notre pays a dû donner un formidable coup de frein à son programme nucléaire ; les cinq centrales dont il était prévu d'autoriser la construction chaque année ont été réduites à une ou deux ; du même coup, nos prévisions de consommation d'uranium ont été sérieusement réduites. Parallèlement, de très importants gisements de ce matériau ont été découverts au Canada, en Australie, au Brésil. Et toutes les estimations sur les réserves et les ressources d'uranium ont été révisées à la hausse(3). Les cours du précieux métal se sont effondrés ; on ne parla plus de disette, mais de pléthore.
Bref, le surgénérateur qui, à un moment donné, put paraître indispensable, est devenu complètement inutile. D'autant plus que les coûts de cette filière n'ont cessé de grimper. En l'espace de 6 ans, les devis de construction de notre premier prototype commercial - Super-Phénix- sont passés de 4 milliards de francs à près de 10 milliards de francs (monnaie 1977). Le montant total du projet s'élève déjà à 20 milliards de francs courants et la facture définitive nous réservera peut-être encore des surprises. Le coût du kWh sera 2,5 fois plus cher que celui d'une centrale nucléaire classique. Il y a 8 ans, EDF annonça son intention de commander 6 centrales surgénératrices entre 1979 et 1985, puis 5 autres entre 1985 et 1990. Aujourd'hui, on ne sait même pas si Super-Phénix aura un grand frère ; la décision ne sera prise qu'en 1986. L'avènement d'une filière commerciale surgénératrice semble bien repoussée sine die.
SUPER-PHÉNIX SERA-T-IL UN SPÉCIMEN UNIQUE ? Le retraitement n'était justifié que parce qu'il fournissait du plutonium pour le surgénérateurs. Or cette filière coûte beaucoup plus cher que prévu. Même M. Marcel Boiteux, PDG d'EDF, l'a reconnu récemment devant une vingtaine de députés, rassemblés sur le site de *Creys-Malville où se dresse la masse imposante du plus gros surgénérateur du monde. Comme le spectre de la pénurie d'énergie s'éloigne, comme notre planète regorge d'uranium, la coûteuse filière surgénératrice n'est plus une nécessité. Super-Phénix devait être le premier d'une série Industrielle. Il n'en sera probablement que la prototype. Du moins jusqu'au siècle prochain. Il y à bien longtemps que "Science & Vie" avait annoncé les coûts exorbitants et les dangers liés à la filière surgénératrice : voir nos numéros 703 avril 1976: " Le Phénix du VIIème Plan " et 781 octobre 1982: " A qui serviront les surgénérateurs ? " |
Mais l'usine de La Hague, qui a été développée puis agrandie, justement pour pouvoir retraiter plus et produire plus de plutonium pour les fameux surgénérateurs, continue de tourner (4). Comme il n'y a plus de réacteurs rapides en vue pour consommer le plutonium qu'elle produit, des stocks de ce dangereux métal commencent à se constituer. Or, le plutonium vieillit plutôt mal. Si on le laisse "rassir", des poisons se forment et en particulier de l'américium 241, un produit extrêmement irradiant et qui rend toutes manipulations fort délicates.
A combien s'élèveront les stocks de plutonium issus du retraitement ? Les chiffres ne sont pas publics ; essayons donc de les calculer. En sachant que le retraitement d'une tonne de combustible irradié des centrales graphite-gaz produit 3 kg de plutonium et que le retraitement d'une tonne de combustible irradié des centrales à eau pressurisée en fournit 9 kg, il suffît de multiplier respectivement ces chiffres par le montant des contrats de retraitement. Pour EDF, l'usine de La Hague a retraité, 4 285 t de combustibles graphite-gaz jusqu'à la fin de 1983. Ces derniers ont dû produire 13 t de plutonium, dont 2,8 t sont destinées à la fabrication du coeur de Super-Phénix (5). Restent un peu plus de 10 t de stocks. A cela, il convient d'ajouter 2 041 t de combustibles irradiés qui furent acheminés vers l'usine de Marcoule et qui produiront 6 t de plutonium. Il est pratiquement impossible d'évaluer la production de scories nucléaires des centrales graphite-gaz encore en service (Chinon 2 et 3, Saint-Laurent 1 et 2, Bugey 1) car elles fonctionnent à la demande, donc par à-coups, et on ne connaît pas avec certitude leur date d'arrêt définitif. Impossible de calculer les quantités de plutonium qu'elles fourniront. Une incertitude donc sur ce point. Quant aux centrales à eau pressurisée d'EDF, le montant total des contrats actuels de retraitement s'élève à 5 344 t qui s'étalent sur une dizaine d'années et qui produiront 48 t de plutonium. Aux alentours de 1995, nos stocks seront fort probablement supérieurs à une soixantaine de tonnes. Ce chiffre n'est qu'un ordre de grandeur, puisque les ventes et les achats de ce matériau par EDF sont tenus secrets.
Quant aux contrats étrangers, ils totalisent globalement 7 319 t (6 000 t pour la future usine UP3 (6) et 1319 t pour l'usine UP2). C'est donc environ 66 t de plutonium qui seront produits à La Hague pour des clients étrangers.
Qu'en faire ? Ce plutonium appartient au producteur d'électricité qui, sans la filière surgénératrice, n'en a guère d'usage. Le retourner à son propriétaire pose de sérieux problèmes de protection. N'oublions pas que ce produit est le matériau de base des armes nucléaires et qu'à chaque transport, on craint une action terroriste ou un détournement. Qu'on se souvienne du retour, au mois d'octobre dernier, vers le Japon, de 251 kg de plutonium en provenance de La Hague. Le transport par bateau ne fut autorisé qu'avec une escorte militaire et une surveillance par satellite. Arrivé au Japon, il fallut l'escorte de 15 cars de police pour transporter, en pleine nuit, le dangereux colis du port de Tokyo au centre de stockage de l'usine de Tokaï-Mura. Une fois sur place, il a été stocké sous haute surveillance. Le plutonium est décidément un matériau bien encombrant.
Avec une logique implacable, la COGEMA eut l'idée de ressortir de ses cartons un combustible nucléaire pour centrales classiques qui justement permet d'utiliser cet embarrassant produit.
Ce combustible, appelé MOX (pour Mixed Oxide) est un mélange, comme son nom l'indique, de deux oxydes, un oxyde d'uranium et un oxyde de plutonium. Il contient entre 3 et 5 % de plutonium 239 qui se substitue ainsi à l'uranium fissile. On commença à l'étudier dès la fin des années 50. Et plusieurs expériences eurent lieu en France dans les petits réacteurs Osiris et Siloé du CEA, dans la centrale franco-belge de Chooz, dans les réacteurs BR3 et Tihange 1 de Belgonucléaire, dans ceux de Biblis et de KWO de la firme allemande KWU. " Ces expériences explique M. Robert Lallement, directeur délégué de l'IRDI (Institut de Recherche Technologique et de Développement Industriel) partie intégrante du CEA, nous ont démontré qu'il n'y avait aucun problème majeur de tenue ; ce combustible est substituable à l'autre dans des proportions qui ne doivent pas dépasser 30 % de l'ensemble du combustible (7) ".
UNE USINE BLINDÉE pour fabriquer le nouveau combustible nucléaire. Si l'usine MELOX de fabrication du combustible au plutonium devait voir le jour, elle devrait être blindée et entièrement robotisés afin de protéger les techniciens contre l'irradiation au plutonium. Déjà, dans l'affiler de conditionnement du plutonium de La Hague, comme on peut le voir sur cette photo, les employés travaillent à l'aide de boîtes à gants totalement hermétiques, et de pinces, lis sont protégés par des tabliers de plomb. |
A première vue, le MOX semble n'avoir que des avantages : " En effet, explique M. Dominique Vastel, directeur de la communication de la COGEMA, l'utilisation du MOX engendre une économie d'uranium naturel, puisqu'on peut mélanger l'oxyde de plutonium avec de l'uranium appauvri (0,3 % d'uranium 235), ce déchet qui sort des usines d'enrichissement, au lieu d'utiliser de l'uranium naturel. Le MOX supprime, dans le cycle du combustible, le coût de l'enrichissement. Il permet une économie sur les coûts du stockage du plutonium et ceux de l'uranium appauvri. Globalement, la substitution de combustible MOX à l'uranium 235 économise 20 % du coût du combustible. A supposer que l'on remplace 10 à 15 % de l'ensemble du coeur d'une centrale par du MOX, l'électricien fera une économie globale de 2 à 3 % sur le combustible total. " " Pour nous, poursuit M. Vastel, la fabrication du MOX ne crée pas de dépenses supplémentaires, nous fabriquons déjà ce type de combustible au plutonium à l'ATPU (Atelier de Technologie du Plutonium) de Cadarache qui produit aussi le combustible de Super-Phénix. Si les électriciens décident d'utiliser le MOX, nous envisageons de construire sur le site de Marcoule, une usine de fabrication, baptisée MELOX, capable de produire 100 t par an. "
Pour mieux vendre le MOX, la COGEMA a signé le 25 octobre dernier un accord avec la Belgonucléaire, une société belge qui, depuis le début des années 60, s'intéresse à ce "fuel" au plutonium et peut du jour au lendemain en produire dans son usine de Dessel. Aux termes de ce contrat, les deux sociétés annonçaient la création d'un groupement d'intérêt économique commun, baptisé "Commox" (Cogema 60 %, Belgonucléaire 40 %) chargé de commercialiser les productions respectives des deux compagnies.
A y regarder de plus près, ce combustible dont le but principal est d'utiliser les stocks de plutonium, semble présenter quelques inconvénients. Sa fabrication d'abord : dans la mesure où il s'agit d'un combustible au plutonium, de nombreuses précautions doivent être prises ; les sérieux problèmes de contamination par le plutonium imposent le travail en circuits complètement étanches et blindés. De plus, si le plutonium est stocké trop longtemps avant d'entrer dans l'usine de fabrication, de l'américium se forme ; il est nécessaire de "l'écrémer", ou de s'en protéger et de fabriquer le combustible dans des chaînes totalement robotisées. Résultat, le coût de fabrication peut être dix fois supérieur au coût de fabrication d'un combustible classique. Enfin, les mélanges d'oxyde de plutonium et d'oxyde d'uranium doivent être parfaitement homogènes. Si des "grumeaux" de matière fissile se forment, le combustible une fois irradié n'est plus soluble dans l'acide nitrique et il devient impossible de le retraiter. En règle générale, le retraitement du MOX est plus délicat que celui du combustible des centrales à eau pressurisée ; il s'apparente à celui des combustibles des surgénérateurs. On doit par exemple étudier de très près la géométrie des cuves de dissolution en fonction de la teneur en plutonium afin d'éviter tout accident de criticité ; il faut aussi accélérer le processus d'écrémage du plutonium afin que celui-ci reste le moins longtemps possible en contact avec les produits chimiques qui se détériorent très vite. De plus, la chaleur émise par ces déchets est de 25 % supérieure à celle émise par les combustibles irradiés classiques et les doses collectives reçues par les employés sont de 10 à 20 % supérieures. Enfin, le rendement de ce retraitement devra être considérablement amélioré si l'on veut respecter les normes en vigueur, qui n'autorisent la perte que de 1 % de plutonium - soit 90 g - par tonne de combustible retraité. Dans le cas du MOX, une tonne de combustible irradié compte 3 % environ (soit 30 kg) de plutonium. Des pertes de 1 % correspondent donc à 300 g de plutonium. Pour respecter les normes, il faudra donc améliorer le retraitement de façon à diviser ces pertes par un facteur 3.
À QUOI SERT LA HAGUE ? A l'extrémité de la presqu'île du Cotentin, l'usine de retraitement de La Hague extrait le plutonium et l'uranium "d'occasion" des combustibles Irradiés des centrales nucléaires. Le plutonium devait être réutilisé dans les surgénérateurs. Aujourd'hui, cette filière est mise un sommeil mais la grande usine de retraitement continue à fabriquer le dangereux produit et dés stocks commencent à s'accumuler. Pour les utiliser, la COGEMA a eu l'idée de remettre à la mode un combustible au Plutonium Pouvant brûler dans les centrales à eau pressurisée. En 1977 le Japon, l'Allemagne, la Suède, la Belgique, la Suisse, avaient signé avec la COGEMA de fabuleux contrats de retraitement qui finançaient totalement la construction d'une nouvelle unité de retraitement (UP3) sur le site de La Hague. Comme on peut la voir sur notre photo, les travaux sont encore en cours. A partir de 1988, UP3 commencera à retraiter les combustibles étrangers et à produire du plutonium qui, avec l'abandon probable de la filière surgénératrice, ne sera plus d'aucune utilité. |
Ce plutonium de "seconde génération" est impropre à un second recyclage dans les réacteurs eau pressurisée, car des isotopes non fissiles à basse énergie, comme le Pu 240 et le Pu 242, qui "mangent" des neutrons, se sont formés. On ne pourra l'utiliser que dans les surgénérateurs, car la vitesse des neutrons dans ce type de réacteurs permet de venir à bout de certains isotopes récalcitrants. En supposant que les centrales rapides ne voient jamais le jour, les électriciens se retrouveront à terme à la tête d'un stock de plutonium alors qu'ils avaient cru s'en débarrasser en le transformant en MOX.
Dans le coeur des centrales classiques, les problèmes techniques fondamentaux liés à l'emploi du MOX semblent résolus ; en revanche de nombreux détails restent encore à étudier et le CEA vient d'entreprendre à Cadarache, dans la CAP (Chaudière Avancée Prototype), un petit réacteur de 100 MWth, une série de programmes de recherches sur le vieillissement d'un coeur où brûle du MOX et sur la façon dont se comportent les gaines de zircalloy qui entourent le combustible. EDF tient d'ailleurs à connaître le résultat de ces études, puisque dans une note de son service des combustibles, on peut lire : " Les études complémentaires nécessaires ne permettent pas de projeter le recyclage industriel de l'uranium et du plutonium de retraitement dans les réacteurs à eau légère EDF, avant l'horizon 1990."
Si, comme l'annonce la COGEMA, ce combustible mixte permet effectivement des économies, les producteurs d'électricité devraient se ruer vers ce produit qui leur économisera des deniers. Or, il n'en est rien. EDF, dans la note déjà citée, fait remarquer : " En fait le problème est plus économique que technique, de nombreuses hypothèses sont à vérifier pour que des décisions puissent être prises. " Et M. Robert Jeannin, directeur de ce service des combustibles, le dit clairement : " Aujourd'hui, l'économie entraînée par le MOX n'est pas prouvée, nous n'avons pas encore les offres des différents fournisseurs, ni les prix commerciaux pour chacune des étapes du cycle. Tant que nous n'aurons pas de garanties sur l'évolution (des prix), il n'y a pas de raisons que nous nous engagions dans cette voie. Nous désirons nous engager sur quelque chose qui a été parfaitement étudié. Actuellement, je ne peux annoncer aucun chiffre et ne pense pas pouvoir le faire avant six mois. " C'est clair. La COGEMA a sans doute été un peu vite en besogne en annonçant des économies qui apparemment ne sont pas encore démontrées.
De plus, le MOX traîne avec lui le spectre de la prolifération. " On n'a jamais fait de bombe atomique avec le type de plutonium présent dans les combustibles MOX (mélange de 60 % de Pu 239 et d'autres isotopes dont 11 % de Pu 241), on ne sait pas séparer les différents isotopes du plutonium, et le MOX mêle étroitement l'oxyde d'uranium et l'oxyde de plutonium, pour les séparer il faut avoir une usine, dit-on à la COGEMA. " Tout cela est exact, mais il est néanmoins possible de fabriquer un engin atomique avec du plutonium de recyclage. C'est ce qu'affirme David Albright, spécialiste de la prolifération des armes nucléaires du Centre d'études pour l'énergie et l'environnement de l'université de Princeton. De toute façon, l'utilisation du MOX multipliera les transports, et les manipulations de plutonium ; il faudra l'emmener du centre de retraitement vers l'usine de fabrication du combustible, puis de l'usine vers la centrale. Le plutonium est certainement plus facile à surveiller, à contrôler s'il s'entasse sur un site unique plutôt que s'il se promène sur différentes routes de France et de Navarre.
Pourquoi la COGEMA a-t-elle offert ce nouveau service ? D'abord, parce que l'utilisation d'un combustible au plutonium permet de continuer à retraiter des combustibles classiques. En effet, ce retraitement, nous l'avons vu, n'est vraiment justifié que si l'on a besoin de plutonium. L'option en sa faveur que la France a prise il y a une dizaine d'années, n'est pas irréversible. Le premier rapport de la Commission Castaing sur la gestion des combustibles irradiés, qui fut rendu public à la fin de l'année 1982, n'exclut absolument pas le non-retraitement. Au contraire, ce document a bien recommandé " que des études allant Jusqu'à l'acquisition du savoir-faire industriel soient engagées sur les options autres que le retraitement immédiat, notamment des études sur le stockage définitif des combustibles irradiés. " Le troisième rapport Castaing, qui vient tout juste d'être publié, recommande que l'option stockage, en l'état, des combustibles irradiés dans des conteneurs en cuivre soit étudiée de plus près. Notre pays a fait un choix jadis, il peut en faire un autre demain à la lumière de l'expérience d'autrui. Les Suédois, par exemple, qui avaient décidé de faire retraiter leurs combustibles à La Hague, viennent de changer d'avis, ils tentent de transférer leurs contrats au Japon et à l'Allemagne. Les Etats-Unis, les plus grands consommateurs d'énergie nucléaire de la planète et par conséquent les plus grands producteurs de combustibles irradiés, ont opté pour le démantèlement des assemblages de combustibles, leur stockage intermédiaire sous l'eau ou à sec en conteneur d'acier, et après un minimum de 10 ans de refroidissement, leur stockage définitif en conteneur de titane.
L'option retraitement n'étant pas assurée ad vitam oeternam, mieux vaut lui trouver des justificatifs et le MOX en est un. Si ses ventes démarrent, elles entraîneront la mise en chantier l'usine de fabrication MELOX. Il sera ensuite beaucoup plus difficile de faire marche arrière, de remettre en cause le retraitement dont l'un des sous-produits alimente justement MELOX. La maintenance de cette dernière étape du cycle du combustible est primordiale pour la COGEMA. Elle fait vivre 4 100 personnes au sein de la compagnie. Elle est vitale aussi pour le CEA où plus d'un millier de personnes émargent sur les budgets des programmes de recherches et développement liés au retraitement. Les deux organismes comptent bien se battre pour conserver le plus longtemps possible cette activité. Or, n'oublions pas que depuis 1977 aucun nouveau contrat de retraitement n'a été signé pour La Hague. Présenter un service nouveau, qui risque de débarrasser momentanément le producteur d'électricité de son encombrant plutonium, risque peut-être d'attirer de nouveaux clients.
Parallèlement, en développant la fabrication le retraitement du MOX, la COGEMA se "fait la main" pour le cycle du combustible mixte des surgénérateurs ; une fois la machine lancée, une fois le savoir-faire acquis, il sera plus difficile lu gouvernement de prendre des décisions à l'encontre des réacteurs rapides.
La COGEMA arrivera-t-elle à faire la preuve de l'intérêt technique et surtout économique du MOX ? EDF se laissera-t-elle convaincre ? Des clients se déclareront-ils ? Réponse cette année.
Françoise HARROIS-MORIN,
Science&Vie n°808 janvier 1985.
(1) La COGEMA est responsable de la commercialisation de l'ensemble
du cycle du combustible nucléaire, de l'extraction de l'uranium
au retraitement des combustibles irradiés en passant par
l'enrichissement, la fabrication et le transport du fuel nucléaire.
(2) Le combustible des centrales à eau pressurisée
est constitué de 96,5 % d'uranium 238 et de 3,5 % d'uranium
235 fissile.
(3) Voir Science & Vie n- 802 juillet 1984.
(4) Les tenants du retraitement à tout prix justifient cette opération non seulement par la récupération du plutonium et de l'uranium, mais également par une meilleure gestion des déchets nucléaires les plus dangereux qui sont vitrifiés. Tout le monde n'est pas de cet avis, tant s'en faut.
(5) Le coeur de Super-Phénix comptera 5,5 tonnes de plutonium. On peut donc supposer que les deux autres partenaires du projet, l'Allemagne et l'Italie, fourniront au moins 2,5 tonnes.
(6) Les unités de production 2 et 3 de La Hague (UP 2 et UP 3) sont des usines spécialisées dans le retraitement des combustibles des réacteurs à eau pressurisée.
(7) Si le pourcentage est supérieur, l'énergie des flux neutroniques issus du Pu 239 est trop importante et perturbe le fonctionnement du coeur du réacteur.